201911.22
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Les drones occupent régulièrement le coeur de l’actualité depuis quelques mois et nous pouvons légitimement penser que leur usage va peu à peu se généraliser. Aussi, il nous est apparu opportun de nous interroger sur l’usage possible d’un drone par un détective privé dans l’exercice de son métier en France.

Définition d’un drone

Un drone est un aéronef sans personne à bord, piloté à distance ou autonome. On distingue le drone civil du drone militaire de part son utilisateur et la fonction à laquelle il est destiné. Lorsqu’un drone civil est utilisé à des fins de loisir et de compétition, on parle plutôt d’aéromodèle.

Quelques chiffres sur les drones

Selon l’institut GFK, il a été vendu plus de 100 000 drones de loisir en France en 2014 et il a été un des cadeaux phares de Noël 2014.

La France est le deuxième pays au monde par le nombre d’appareils vendus derrière les USA et son usager moyen est un homme âgé entre 30 et 50 ans, amateur de modélisme, de nouvelles technologies et de photographie (source Dronestagram octobre 2014).

Les prix des aéromodèles varient entre cinquante euros et plusieurs milliers d’euros en fonction de leurs capacités, autonomie, taille…

Alors que la firme Amazon a annoncé début 2015 tester la livraison de ses colis à l’aide de drones, beaucoup de questions légitimes se posent quant à la protection de notre vie privée, à la surveillance généralisée des populations et à la déshumanisation de nos relations.

Par ailleurs, une autre question se pose pour le détective privé, seul professionnel de l’investigation civile et commerciale : le drone va-t-il devenir le moyen d’investigation de demain ?

Les différents usages du drone civil

Les drones civils sont de plus en plus utilisés et voici quelques unes de leurs destinations :

  • aéromodélisme (pour un usage loisir)drone
  • étude géographique (chercheurs et scientifiques, agriculteurs pour déterminer les zones d’épandage…)
  • sécurisation de sites sensibles
  • prévention d’incendie
  • moyen de livraison ou de transport…

Deux types de drones

Il existe deux types de drones civils :

  1. les drones avec dispositif de captation d’image ou de son (caméra, appareil photo ou micro intégrés)
  2. les drones qui ne disposent pas de ce type de dispositifs

Nous allons nous attacher uniquement aux drones disposant d’un dispositif de captation d’image.

En effet, la captation d’une conversation privée à l’insu d’une personne est rigoureusement interdite par l’article 226-1 du code pénal et par conséquent un appareil disposant d’un tel dispositif n’a aucun intérêt pour un détective privé, de même qu’un drone sans dispositif de captation d’image.

Législation sur les drones

Si l’Agence européenne pour la sécurité aérienne AESA est compétente pour les appareils de plus de 150 kg, ce sont les autorités nationales qui sont en charge de la législation pour les drones plus légers.

Législation sur les drones en France

La France est un précurseur en la matière et elle publiait dès le 11 avril 2012 deux arrêtés sur les conditions d’emploi des aéronefs et sur leur utilisation de l’espace aérien.

Usage loisir / usage professionnel

Le législateur distingue l’ « usage loisir » (aéromodélisme et compétition) de l’usage professionnel (usage répertorié sous le terme « activités particulières »). Il existe des spécificités pour chacun de ces usages.

Règles communes à tout usage de drone

La liberté prévaut dans l’espace aérien en dessous de 150 mètres d’altitude, mais il faut tout de même respecter certaines règles de vol. En effet, ces vols doivent avoir lieu :

  • en dehors des agglomérations et des rassemblements de personnes ou d’animaux
  • en dehors des zones proches des aérodromes
  • en dehors d’espaces aériens spécifiquement réglementés qui figurent sur les cartes aéronautiques

Par ailleurs, un drone loisir doit toujours être visible par son télépilote.

La prise de vue est-elle compatible avec un « usage loisir » ?

Comme le rapporte le site spécialisé en aéromodélisme helicomicro en date du 5 avril 2014, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) indique la réponse suivante :

« Lorsque la prise de vue est accessoire à un vol de loisir ou de compétition, et que les images ne sont pas exploitées après le vol à des fins autres, elle ne rentre pas dans la catégorie des « activités particulières », et elle peut être faite par un aéromodéliste. »

Si un enquêteur privé devait utiliser un tel appareil, il n’exploiterait aucunement ses photos à titre commercial ou public dans la mesure où les images seraient communiquées dans le cadre d’une procédure judiciaire à des personnes tenues par le secret professionnel, mais l’objet premier du vol ne serait pas le loisir ou la compétition mais serait professionnel.

Par conséquent, un détective privé dans l’exercice de son métier ne peut légalement capter des images avec un drone en évoquant un « usage loisir » dudit drone.

Par ailleurs, l’usage « loisir » d’un drone par un aéromodéliste ne peut se faire que dans une zone prévue à cet effet, non peuplée et hors agglomération.

Par exemple, le parc de Bagatelle au sein du bois de Boulogne à Paris est un lieu de rendez-vous prisé par les aéromodélistes. Cependant, les aéromodélistes de Bagatelle sont totalement hors la loi malgré la mansuétude des autorités à leur égard.

L’usage loisir d’un drone en plein milieu d’un champ, hors agglomération et hors présence de personnes ou d’animaux serait plus approprié.

Règles pour un usage professionnel

La législation distingue 4 scénarios différents dans le cadre d’un usage professionnel (dit « autres activités ») :

S1 : drone en vue à moins de 100 mètres du télé-pilote et hors zone peuplée

Le drone doit peser 25 kg maximum et ne peut être utilisé que dans les zones qui ne comptent pas d’habitations. Les règles sont encore plus strictes à proximité d’un aéroport.

S2 : drone hors vue directe et hors zone peuplée, dans un rayon horizontal d’un kilomètre et à une hauteur inférieure à 50 m du sol et des obstacles artificiels, sans aucune personne au sol dans cette zone d’évolution

Dans cette catégorie, des autorisations particulières doivent être délivrées, notamment au regard des spécifications techniques du drone.

S3 : drone en agglomération ou à proximité de personnes ou d’animaux, en vue directe à une distance maximale de 100 mètres du télépilote, de masse maximale inférieure à 4 kg et qui génèrent moins de 70 joules à l’impact.
S4 : drone hors vue directe et hors zone peuplée pour des activités spécifiques (relevés, photographies, observations et surveillances aériennes)

drone detective privePour chacun de ces scénarios :

  • des conditions d’aptitude du télé-pilote sont nécessaires
  • une autorisation de la préfecture doit être accordée pour délimiter l’usage du drone
  • le drone doit disposer d’équipement de sécurité

Si le scénario S3 paraît adapté à l’usage que pourrait en faire un enquêteur privé, des règles légales spécifiques à la prise de vue aérienne viennent s’ajouter aux précédentes contraintes.

Réglementation sur la prise de vue aérienne

Article D. 133-10 du Code de l’aviation civile :

Est interdite la prise de vue aérienne par appareil photographique, cinématographique ou par tout autre capteur sauf dérogation préfectorale. »

Toute personne souhaitant prendre des photos avec un drone à partir de l’espace aérien doit donc se soumettre à cet article et à son décret d’application du 27 juillet 2005, en plus de la législation spécifique à l’utilisation de l’espace aérien par un drone.

Les drones sont un moyen d’investigation pour les détectives privés aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la protection de la vie privée est bien moins importante et l’utilisation des drones est libre et légale dans beaucoup d’états. Certains détectives privés ne s’en privent pas.

Par exemple, un enquêteur d’assurance a utilisé ce type d’appareil pour prouver qu’un assuré avait simulé une invalidité. Retranché dans son ranch, ce dernier s’est fait surprendre par la caméra d’un drone alors qu’il se croyait à l’abri de tout regard indiscret.

Cependant, les avis sont partagés et bon nombre de détectives privés s’alarment de l’intrusion de ces engins dans le quotidien des américains.
Comme le rapportait récemment Emmanuelle Welch  sur son blog, certains enquêteurs privés militent en faveur d’une législation encadrant les drones car ces derniers pourraient rapidement devenir un vrai cauchemar.

En effet, nous semblons nous rapprocher de plus en plus du célèbre roman de Georges Orwell 1984 et c’est sans doute aux personnes les plus informées sur l’usage possible de tels appareils d’en dénoncer les dérives potentielles.

Drone civil et détectives privés en France

La protection de la vie privée en France est sans commune mesure avec ce qui existe outre Atlantique et les détectives privés français sont très au fait de la jurisprudence fondée sur l’article 9 du Code civil et sur l’article 226-1 du Code de procédure pénale.

Enquête de détective et protection de la vie privée

Le détective privé est le seul professionnel habilité à mener des enquêtes dans des procédures civiles et commerciales. Ses investigations se font même « sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission » (art. 621-1 du Code de la sécurité intérieure).

Pour autant, il n’a pas de prérogatives particulières et se doit de respecter la vie privée des sujets de ses investigations. Ainsi, en ce qui concerne la captation d’images, celles-ci peuvent être prises librement dans des lieux publics ou à partir de lieux publics. Dans des lieux privés, l’accord de la personne visée est nécessaire.

Article 226-1 du Code de procédure pénale

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque ces actes sont réalisés au vu et au su de l’intéressé, sans opposition de sa part alors qu’il le pouvait, son consentement est présumé. »

Sur l’usage d’un drone par un enquêteur privé

Dans un lieu public

Professionnel de l’investigation, le détective privé est tenu au secret professionnel.

La captation d’images de personnes situées dans un lieu public est possible.

Cependant leur diffusion est strictement encadrée et soumise au droit à l’image notamment.

Dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’enquêteur privé pourra communiquer ces éléments au conseil de son mandant, lui-même tenu au secret professionnel.

Ce dernier transmettra ces éléments au juge et au conseil de la partie adverse pour respecter le principe du contradictoire.

L’utilisation d’un drone pour photographier un individu dans un lieu public serait donc un procédé acceptable par les tribunaux. Le drone serait considéré au même titre qu’un appareil photo traditionnel.

Toutefois  le détective privé aura l’obligation de se soumettre à la législation sur le vol de drones dans l’espace aérien et sur la prise de vue aérienne comme nous l’avons vu auparavant. Ces deux règles sont lourdes et demandent des autorisations préfectorales.

 Dans un lieu privé

Dans un lieu privé les règles sont différentes dans la mesure ou la captation d’image est soumise à l’accord de la personne concernée, sachant que cet accord est présumé si elle ne s’y oppose pas.

Il est cependant difficile de penser qu’un juge accepte ce principe d’accord présumé lorsque l’appareil photo se trouve intégré à un appareil aérien miniaturisé.

Si la jurisprudence est riche en ce qui concerne la prise de vue avec appareil photo traditionnel et notamment en raison de la chasse au scoop de la part des paparazzis, elle est encore inexistante à notre connaissance en ce qui concerne les drones.

Conclusion sur l’utilisation du drone par le détective privé

Sur la législation spécifique aux drones

Dans le cadre d’une enquête privée, le drone ne peut être considéré comme un outil d’investigation traditionnel car des règles spécifiques et très strictes s’appliquent à l’utilisation d’un drone dans un cadre professionnel (et loisir) et la prise de vue aérienne est soumise à dérogation préfectorale préalable.

Le survol des agglomérations ou de zones peuplées (de personnes ou d’animaux) n’est possible que dans le cadre d’une autorisation préfectorale délivrée après avis du service de la défense et de la direction régionale de l’aviation civile.

Compte tenu de la législation sur l’utilisation du drone, il n’offre à première vue pratiquement aucune possibilité pour le détective privé.

Voler sans licence et sans autorisation est passible d’un an de prison et de 75 000 euros d’amende (article L6232-4 du Code des transports). Toute prise de vue non autorisée et non conforme au Code de l’aviation civile expose son auteur à une contravention de 1.500 euros d’amende.

Enfin, en cas de fraude sur la liaison radio avec l’aéronef, l’article L39-1 du Code des postes et des communications électroniques s’applique et le délit est sanctionné de 6 mois d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Sur le respect de la vie privée

Par ailleurs, si tant est que les deux autorisations préfectorales préalables aient été accordées, l’utilisation d’un drone sera réservée à des prises du vue lorsque le sujet se trouvera dans un lieu public, à vue , à une altitude maximale de 150 mètres et à moins de 100 mètres du télé-pilote, ce qui limite encore plus son potentiel usage.

En conclusion, la législation sur l’utilisation des drones dans l’espace aérien français est extrêmement contraignante, de même que la prise de vue aérienne. Cela n’offre que de minuscules possibilités à un détective privé de se servir d’un drone dans l’exercice de son métier.

Aussi, nous ne pouvons que nous en féliciter pour la sécurité de notre espace aérien et pour la protection de notre vie privée.

N’hésitez pas à nous faire part de vos retours dans la partie commentaire si vous avez déjà sollicité une demande d’autorisation pour l’utilisation d’un drone ou pour une prise de vue aérienne.